Une petite étincelle
Tout a donc vraiment (re)commencé à la visite chez la psy.
Alors que je pensais surtout lui parler de Romain, je me suis retrouvée à raconter toute l'histoire de Wii. J'avais du mal à me rappeler certains détails d'ailleurs.
Et j'étais surprise de me rendre compte à quel point la plaie était encore à vif par endroits.
En y repensant les jours suivants, je me suis rendue compte que depuis que j'ai commencé mon contrat je pense quand même souvent à lui.
Faut dire qu'il est commercial chez un éditeur BD, qu'on a souvent parlé BD à l'époque. Et que de la BD j'en manipule tous les jours maintenant.
Au mois de janvier, au moment du festival d'Angougou, quand ma collègue m'a demandé "et tu y es déjà allée toi ?" forcément ça a soulevé la poussière.
Quand j'ai un album de son éditeur dans les mains, qu'il me faut taper le nom dans le logiciel pour l'entrer dans le système, ça crée toujours un petit nuage de poussière.
J'étais donc en train de rêvasser sur le fait qu'on se recroiserait peut-être à un prochain Angougou un jour quand la disparition de Mushroom est venue accélerer tout ça.
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Pas de soucis. Nous on va bien, j'espère que Mushroom aussi?
Et toi ça boom? T'as réussis à devenir conservatrice comme tu voulais?
J'ai donc reçu ça vers 15h.
Toute l'essence de Wii en deux phrases.
Ses expressions du siècle dernier. Ses petites maladresses orthographiques. Sa gentillesse quand même, car il fait genre "non non ces deux messages que tu m'as envoyé ne sont pas du tout incongrus". Sa totale incompréhension de la situation d'il y a 5 ans pour qu'il me demande des nouvelles aujourd'hui.
Et en même temps, ce sentiment de répulsion que j'avais ressenti lors de notre dernier contact m'est aussi revenu en pleine tête.
"En en parlant j'avais l'impression que c'était hier"
Ecrivais-je la semaine dernière.
En fait, en recevant ce message, en rétablissant le contact, j'ai eu immédiatement l'impression que tout cela était il y un bon milliard d'années.
Et j'ai été prise d'une grande lassitude de replonger à nouveau dans ce merdier.
Je suis allée poser ma tête sur l'épaule de Johm qui jouait sur son pc dans la pièce à côté.
- Wii me demande comment je vais.
- Ben dis-lui que tu vas bien.
- Oui, c'est exactement ce que j'ai l'intention de faire mais d'abord je viens accrocher un peu mon coeur ici.
Ca va bien. Non je ne suis pas conservatrice, je suis mieux, je suis... bibliothécaire.
Et là sérieux j'ai remercié le ciel d'avoir un métier à lui annoncer.
Il a renchéri là-dessus mais c'était déjà trop pour une seule journée, j'ai remis ma réponse au lendemain.
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En repensant à ces deux lignes, une petite étincelle s'est allumée dans mon coeur.
Wii, l'homme à la plus mauvaise mémoire du monde, se souvient 5 ans après de mon domaine d'études.
C'est un peu foufou quand même.
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Nous avons continué à discuter par messages interposés les jours suivants.
On a exclusivement parlé boulot.
Angougou, la BD, tout ça.
Il m'a promis de me donner les titres des albums qu'il trouvait les meilleurs pour que je les acquiers pour la Médiathèque.
ON A EXCLUSIVEMENT PARLE BOULOT.
Oui car en fait maintenant on travaille dans le même domaine. Nous avons enfin un vrai point commun.
Mais surtout c'est la première fois que je retourne une de mes relations merdiques. D'habitude je bosse avec eux, puis je galère à trouver la bonne distance une fois le boulot terminé.
Avec Wii, c'est le contraire.
Cette discussion paisible a confirmé la présence d'une étincelle de joie dans mon coeur.
Je sais qu'elle est vraie.
Alors je suis vigilante.
Je veille.
A ce qu'elle ne s'éteigne pas.
Mais aussi à ce qu'elle n'embrase pas tout.
Elle et moi sommes fragiles.
Les choses sont pour le moment assez claires dans ma tête.
Je ne veux toujours pas revoir Wii car je sais que ça serait trop dur.
Je ne veux pas qu'on discute de plus que de notre boulot, à message interposé, à tête reposée, calmement, insignificativement.
Je ne veux pas le supprimer de la black list, je crois que c'est mieux pour tout le monde s'il y reste.
Je ne veux pas avoir de nouvelles de sa relation avec sa pouffe (j'ai bien noté qu'il n'a jamais cité son prénom dans la conversation), ça ne me regarde pas.
Mais je veux continuer à sentir que "nous" existons, dans cette relation calme et apaisée que nous venons de créer.
Il y a un milliard d'années, le jour de l'anniversaire du Mort, je suis allée luger avec Teodora. C'était une de mes plus belles journées. On s'est roulées dans la neige, et la tête à l'envers, j'ai photographié les eucalyptus sous la neige.
C'était pour moi un symbole de joie et de paix. Une petite étincelle de joie au fond de mon coeur.
Ce dimanche, nous sommes allés luger en famille.
Pendant que l'Héritier et Johm dévalait la piste, je me suis allongée au soleil, sous des arbres. Et j'ai vu ça.
J'ai repensé à la petite française fofolle dans la neige australienne.
Et je me suis dit que cette blessure que je portais déjà à l'époque était en train de guérir. Peut-être définitivement si je suis assez vigilante.
Alors je vous offre à vous aussi ce petit polaroïd du bonheur.