Le mélodrame de la messe "face à Dieu" (à suivre)
Revenons donc sur cette merveilleuse matinée de la semaine dernière.
D'abord un peu de contexte.
A la réunion de rentrée des animateurs en septembre, nous avons décidé d'arrêter les soi-disant "messes de l'aumônerie" que personne n'avait le temps de préparer et où aucun jeune ne venait et de les remplacer par une sortie trimestrielle avec balade et messe rien qu'entre nous. Nous avons établi que chaque niveau (lycée en décembre - katrièmetroizième (nous) en février et sizièmecinkième en mai) préparerait une sortie, emballé c'est pesé.
Le 8 décembre, c'était mon premier week-end en famille depuis un mois pour cause de retraite de confirmation-confirmation-voyage à Jérusalem. J'ai donc séché, avec la bénédiction de l'animatrice de lycée qui a eu pitié de moi à ramener mon fils aux réunions en pleine semaine tellement j'étais débordée.
Donc en janvier, en rentrant des vacances, je me suis dit qu'il était temps de peut-être commencer à planifier cette sortie pour dans un mois et demi.
J'avoue que j'ai joué la facilité en déléguant le choix du lieu à une animatrice, appelons là Joëlle. Donc Joëlle qui est restée en contact avec l'ancien curé de Vé (celui encore avant Pierre) me propose un sanctuaire au Nord de Mytown, que je connais assez bien car 1. c'est là où j'étais en week-end aumônerie la nuit où mon grand-père est mort et 2. je l'ai étudié dans le cadre de mon mémoire car il y a un fabuleux rrrr.
Je suis donc toute enchantée et on décide que c'est bon et on envoie un mail à Romain pour lui donner le lieu et le programme. Romain est SUPER enthousiaste. Mais genre vraiment super à fond, il en parle à plein de gens extérieurs à l'aumônerie qui m'en parlent quand ils me croisent "Romain nous a dit que vous alliez à Halette, c'est vraiment super il paraît".
Je ne me suis pas méfiée. J'aurais dû.
C'est ainsi donc que mardi à l'heure où blanchit la campagne, j'ai affronté tous les bouchons de Mytown rapport que je vis au Sud, pour être à 9h à la messe à Halette et rencontrer la petite dame qui a les clés du sanctuaire.
J'étais toute émue de revenir là rapport aux raisons 1 et 2 que je vous ai citées plus haut.
Je m'installe donc à la messe, je salue le curé qui était au Pélé Vétété de l'été dernier qui ne me reconnaît pas (alors qu'il a vu mon mari en réunion la semaine avant mais passons) et hop hop la messe commence.
Et soudain au moment de la consécration (quand le prêtre prie devant le pain et le vin et les transforme en corps de Jésus), je me rends compte qu'il y a un GROS problème.
Il n'y a pas d'autel face au peuple.
Donc la messe se fait à l'ancienne, dos au peuple.
Un frisson glacé me parcourt et je saisis en un instant pourquoi Romain "et si on allait à la messe en latin ?" est si excité par ce lieu.
J'y suis venue un milliard de fois mais je n'ai jamais célébré la messe à l'intérieur et je suis assez bien placée pour savoir que la chapelle était inaccessible au public dans les années 70 et que donc il est logique qu'aucun autel face au peuple n'y ait été placé.
J'hésite à rester à la messe puis je me dis que maintenant je suis là.
J'hésite ensuite à aller communier puis je me dis que je vais gêner ma voisine car l'espace du banc est riquiqui et elle a du mal à se déplacer alors je demande pardon à Djisus pour ce que je vais faire et j'y vais.
Après la messe, le café est offert.
Je retrouve le père de mon premier rencard devant la cafetière (TRUC IMPROBABLE) qui ne voit pas qui je suis mais je lui tape la discut quand même. Il m'apprend plein de trucs passionnants sur son fils qui a l'air d'avoir une vie pourrie (HAHA bien fait, ça t'apprendra à refuser de sortir avec moi à cause de la "petite musique de ton coeur" et puis sortir avec une connasse deux mois plus tard).
Je retrouve donc la petite dame des clés.
Je lui explique mon problème avec l'absence d'autel face au peuple.
"Ah mais vous ne saviez pas ? Pourtant l'Abbé Romain doit être au courant, il a déjà célébré plusieurs fois ici quand il était séminariste".
La Sanna intérieure S'ENFLAMME.
Je la réprime, le temps de sortir de ce lieu pour éviter de blasphémer.
Je croise une soeur qui était aussi au Pélé Vétété qui me dit
- Ah mais tu crois que ça va gêner l'Abbé Romain de célébrer dos au peuple ?
- Oh non, lui il sera ravi. Mais pour moi, c'est vraiment compliqué d'emmener des jeunes qui ne viennent pas souvent à la messe et de célébrer comme ça.
- Ah ben tu vois, je ne savais pas qu'il était comme ça.
- Oh ben je suppose que si car au départ il avait carrément proposé qu'on aille à la messe tridentine en latin.
Grimace d'horreur sur le visage de la soeur.
J'explique ensuite à la petite dame des clés que bon moi ça me pose un problème mais que je ne suis pas toute seule à décider donc je vais aller en discuter avec l'Abbé Romain et mes collègues et je reviens vers elle pour la tenir au courant. Sachant qu'on mangera le repas de midi de toute façon au sanctuaire mais qu'il n'est donc pas sûr qu'on y célèbre la messe.
Là je remonte toujours sous le choc dans ma voiture.
Romain savait et il m'a envoyé à cette messe SANS RIEN ME DIRE.
C'est la tempête à l'intérieur. Je tremble de fureur et j'ai tous les poils des bras hérissés.
J'appelle ma collègue marrante, appelons-là Sylvie, donc j'appelle Sylvie et lui laisse un message hystérique sur le répondeur en lui disant qu'il n'y a pas d'autel face au peuple et que pour moi c'est hors de question de célébrer comme ça, encore plus AVEC DES JEUNES, encore plus si c'est moi qui organise.
Puis j'appelle le presbytère. Qui n'a aucune nouvelle de Romain. Alors j'appelle Romain sur son portable et je lui laisse un message assez énervé en lui racontant ce que je viens de vivre et en lui disant que pour moi c'est un gros problème et qu'il faut qu'on se voit de toute urgence pour prendre une décision pour la sortie.
J'ai 1h de route pendant laquelle je rumine sur le fait que s'il savait et qu'il n'a rien dit pour me préparer, en plus d'être un gros enculé, il a fait une grave faute "professionnelle".
En route j'appelle Johm pour lui dire que je ne rentre pas direct à la maison, lui expliquer les raisons pour lesquelles je file droit au presbytère faire le pied de grue devant le bureau de Romain pour lui dire ma façon de penser de ses méthodes d'intégriste à la con.
J'arrive au presbytère. Romain n'est toujours pas là mais la secrétaire se souvient brusquement que ce matin il avait des obsèques. Ah bon donc il va arriver.
- Pourquoi ? C'est urgent ?
- Oh ben j'ai un petit gros problème. Je reviens de Halette où on emmène les jeunes la semaine prochaine et il n'y a pas d'autel face au peuple et apparemment Romain serait au courant mais n'a jamais jugé utile que nous en parlions.
- Ah oui merde. Ahlala ce Romain, il n'a vraiment pas de tête. Tu veux t'asseoir en l'attendant ?
- Non je ne peux pas, je suis trop en colère.
- Ah.
20 minutes plus tard, toujours aucune trace de Romain. La secrétaire l'appelle et lui dit que je l'attends.
- Est-ce que c'est vraiment obligé que je vienne ?
- Euh vu l'état dans lequel est Sanna, je crois que ça vaudrait mieux oui... et puis je dois aussi voir un truc avec toi.
Je l'entends râler dans le téléphone.
NON MAIS JE VAIS LUI ARRACHER LA TETE.
10 minutes plus tard, avoir écouté l'autre vicaire faire plein de blagues racistes pour essayer de me dérider et donc être encore plus énervée, Romain se pointe et on se retrouve seuls dans son bureau (déjà le truc que je m'étais promise de ne jamais faire après le Pélé de Bretagne).
J'attaque assez vite
- Est-ce que tu as déjà célébré à Halette ?
- Oui mais c'était il y a très longtemps, je ne me rappelle plus bien.
- Parce qu'il n'y a jamais eu d'autel face au peuple.
- Oui mais ce n'est pas grave tu sais, ce n'est pas du tout illégitime de célébrer comme ça et...
- Non mais je ne veux pas qu'on célèbre comme ça, pour moi c'est un gros problème. Cela dit c'est une décision de groupe donc je vais demander leurs avis aux autres et on prendra ensemble la décision.
- Mais tu sais à la sortie de décembre, on a déjà célébré comme ça car dans la chapelle où on était il n'y avait pas d'autel face au peuple non plus, juste un autel "face à Dieu". On s'en est rendus compte en entrant et on a fait avec.
- Ah je ne savais pas. Cela dit la situation est différente, il nous reste 10 jours, on peut encore trouver une autre solution.
Là-dessus on discute des différentes possibilités, évidemment lui il trouve que le mieux c'est de célébrer "face à Dieu".
- Ah oui bon d'accord, merci pour ton avis.
- Non je crois que tu n'as pas bien compris, me répond-il. Je te donne mon avis de prêtre.
GENRE FERME TA GUEULE ET OBEIS MOI quoi.
L'argument d'autorité.
MERVEILLEUX.
Et là j'ai compris pourquoi il porte sa putain de robe noire. Parce que c'est la seule manière pour lui d'avoir l'impression qu'il a des cojones et de l'autorité. Ca n'a rien à voir avec la proximité comme je le croyais.
Ca m'a libérée d'une certaine manière. AH BEN ECOUTE MON GARS TU PEUX CONTINUER A LA PORTER PARCE QUE TU ME FAIS FRANCHEMENT PITIE.
Puis j'embraye sur un point important pour moi là-maintenant.
- Tant qu'on y est, je voulais te dire que si tu savais et que tu ne m'as rien dit, ça ne serait pas très correct. Je préfère te poser directement la question, je ne voudrais pas passer ma journée à te maudire sur un malentendu.
- Ah mais je te jure que j'avais complètement oublié, non non vraiment...
- Bon très bien. Mais tu sais, je suppose que tu as déjà remarqué qu'on a des spiritualités très différentes tous les deux, je fais beaucoup d'effort pour ne pas m'énerver et te respecter quand tu proposes des trucs comme la messe en latin...
- Ah mais parce que ça t'a heurtée que je propose ça ?
- Oui plutôt. Enfin bon tout ça pour te dire "ménage-moi" car si tu me brusques trop, ça ne passera pas et je vais être obligée d'arrêter l'aumônerie, tout ça.
- Ok, c'est promis.
Ici s'est achevé notre formidable entretien.
Notons que c'est EXACTEMENT pareil que ce 15 août où le Mort m'a soutenu les yeux dans les yeux que oui il voulait être un ami pour moi et nous savons tous comment l'histoire s'est (mal) finie.
Je prends donc la promesse de Romain avec circonspection. Mais bon chrétiennement je ne peux pas non plus me dire qu'il me ment sciemment, donc on verra bien.
Puis Sylvie m'a rappelée le soir pour me dire d'abord qu'elle ne voulait pas de la messe dos au peuple puis changer d'avis quand je lui ai dis qu'elle y avait déjà assisté en décembre apparemment.
Ah oui alors, ça ne me gêne pas.
BON. ON GARDE SON CALME.
J'ai ensuite appelé Fernand, qui est engagé dans l'aumônerie depuis un milliard d'années avec sa femme et va bientôt être diacre et sur qui je fonde tous mes espoirs pour l'année prochaine qu'on lui filera sûrement la responsabilité de l'aumônerie à la place de Romain (ce serait si merveilleux).
Et alors là dialogue d'anthologie.
- Oui bonjour Fernand, je t'appelle car je suis allée ce matin à Halette où on va avec les jeunes pour la sortie et j'ai un problème, il n'y a pas d'autel face au peuple.
- Oh tu sais ça Sanna, ce n'est pas grave. De toute façon, c'est le prêtre qui décide de comment il veut célébrer, il faut respecter ça, m'a-t-il répondu sur le ton le plus condescendant du monde.
J'AI HALLUCINE.
Et je me suis rappelée que nous avons 20 ans d'écart et que nous ne sommes effectivement pas de la même génération.
Après avoir raccroché, j'en ai jeté mon téléphone de colère sur le sol.
C'est MOI qui me suis tapée tout le travail de préparation de la journée et je me retrouve obligée d'assister à une messe avec un rituel merdique suivant lequel je n'arrive pas à prier et qui n'a absolument aucun sens pour moi.
LUTAIN LES BOULES.
Comme je me suis trop engagée maintenant, je vais aller jusqu'au bout de cette journée. Par contre pour les suivantes, ils peuvent se brosser BIEN PROFOND.
Sur ce, j'en discute avec mon mari.
- Roh mais tu sais, ce n'est pas grave.
- Rah mais j'en ai marre, tout le monde a passé son temps aujourd'hui à me répéter ça, mais LUTAIN C'EST GRAVE POUR MOI.
- Non mais ce que je voulais dire, c'est que tu y gagnes à faire cette messe FACE A DIEU. Tu n'auras même pas à enlever tes lunettes au moment de l'élévation, tu ne verras pas la tronche de Romain de toute cette partie là.
WOWOWOWO MAIS OUI.
Ce mari est un génie.
Bon il faudrait que Romain décide de donner la communion aussi de dos pour que ce soit absolument parfait.
Notons donc que depuis ce formidable entretien je n'ai plus eu aucune insomnie.
Alleluia.