Des voitures et de l'intime
Au pélé Vétété, l'avant-dernier après-midi, alors que je crapahutais avec mon appareil photo pour prendre des photos des jeunes en train de faire leur temps spi, tout à coup j'ai vu un groupe partir en courant. Ces gros malins s'étaient installés à proximité de ruches et étaient en train de se faire attaquer par des abeilles.
J'ai averti l'équipe médicale avec mon talkie (ouais au pélé Vétété j'ai un talkie, c'est la classe) surtout qu'un des jeunes était en train de pleurer au bord de la route, allongé par terre.
Pendant ce temps-là, le séminariste récupérait les vélos au milieu des abeilles.
L'équipe médicale est arrivée, s'est occupée du jeune par terre et j'ai repris mon chemin notamment pour aller prévenir tous les autres groupes en aval de se badigeonner de répulsif insectes et ceux en amont de ne pas passer par là.
Quinze minutes plus tard dans mon talkie, j'apprends que le séminariste s'est fait piqué lui aussi en récupérant les vélos et qu'il est en train de faire une réaction allergique.
J'étais un peu inquiète car je le connais un peu. C'est le frère d'un ami, je suis allée aux obsèques de sa mère il y a deux ans et surtout c'est un super séminariste. Puis il est plutôt charmant (bien que plus jeune que moi), ce qui ne gâche rien.
Dans le talkie on m'a aussi demandé si je pouvais l'emmener aux urgences.
J'ai donc emmené le séminariste aux urgences. Il a reçu une piqûre d'antipoison enfin un truc pour arrêter la réaction allergique relativement rapidement, je l'ai ramené au camp, on a mangé ensemble vu que le temps qu'on arrive, tous les autres avaient déjà fini de manger depuis longtemps.
On a quasiment pas parlé. Ce qui n'était pas spécialement étonnant car son frère est exactement pareil.
Tout s'est très bien passé. Ce jour-là.
Depuis le lendemain je sens un début de merdier qui couve.
J'ai envie de me frapper.
De changer de vie.
Et de peau.
De m'enfermer dans un trou et de ne plus jamais en sortir.
Je me questionne.
Sur ce début de merdier.
Pourquoi ? Où ? COMMENT ?
MAIS POURQUOI TOUT CA N'ARRIVE QU'A MOI ?
A la fin du pélé je commençais à me sentir pas très à l'aise avec lui mais c'était très léger donc je me suis dit que ça passerait. Notons que je me dis ça à chaque fois (je me rappelle très bien le moment où je me suis dit ça avec Romain) et que ça ne passe jamais.
Début août au mariage de nos copains son frère était là (jusqu'ici tout est normal).
Et SURPRISE à la fin de la messe, je l'ai vu sur le parvis.
Et je me suis honteusement cachée pour ne pas avoir à aller lui dire bonjour.
Ce qui est pas trop cool et carrément ridicule car je dois l'appeler le mois prochain pour qu'il vienne parler à mes jeunes de sa vocation.
J'en parlais d'ailleurs avec Romain lors de cette première réunion de "travail" et il m'a dit "ah d'accord, très bien, surtout qu'avec le Séminariste, vous vous connaissez bien non ?"
"Euh non on se connaît un peu seulement, je connais surtout son frère".
MAIS POURQUOI EST-CE TOUJOURS TOUJOURS TOUJOURS LA MEME HISTOIRE ?
Qu'est-ce qui a pu laisser croire à Romain que je le connais bien alors qu'on s'est seulement croisés trois fois auparavant ?
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Quand j'analyse donc les racines de ce nouveau petit merdier (vraiment petit pour le moment - pourvu que ça dure - je touche du bois - et j'arrête cette parenthèse pour pas attirer la schkoumoune), le déclencheur c'est cette saleté de trajet en VOITURE.
De toute façon, depuis longtemps, j'ai repéré que j'ai un problème avec le fait d'être seule dans une voiture avec un homme.
Il y a eu les longs trajets avec le Mort en O. Il y a eu cette fois-là en Suisse avec Toto. Il y a eu cette fois-là en Espagne avec Wii. Et puis cette fois-là en Belgique avec Ben. Il y a eu Jii criant "excuse-moi de te tripoter les fesses" en clippant sa ceinture. Il y a TOUJOURS un moment "spécial" dans une voiture.
Il y a eu un jour il y a mille ans un trajet en voiture seule avec Romain quand il n'était encore que séminariste. Trajet que j'étais soulagée d'avoir trouvé "banal" car, encore sous le choc de l'O, je n'étais pas du tout à l'aise quand Pierre m'avait annoncé que c'était Romain qui me ramènerait. C'était genre 4 ans avant le début du vrai beau merdier. Je me rappelle encore avoir pensé "ah ouf ça s'est bien passé, rien de bizarre ou d'ambigu". Et en même temps c'est la première fois qu'on a échangé des infos personnelles, qu'il m'a parlé de sa famille, de sa vie avant le séminaire, que j'ai réalisé qu'il avait non pas le même âge que moi mais dix ans de plus, fin un échange perso quoi. Je pense que si un jour j'assume qu'il existe quelque chose que l'on pourrait éventuellement appeler "notre amitié", c'est ce jour-là, dans la voiture de Romain, que ça a commencé.
Il y a eu cette histoire de covoiturage avant le pélé Vétété où il m'était insoutenable d'imaginer monter dans une voiture avec lui.
Il y a eu encore la semaine dernière quand il a parlé de l'éventualité que ça se produise et que mes poils de bras se sont hérissés.
Et puis donc ce pauvre séminariste avec le visage tout gonflé dans ma voiture pour aller aux urgences et à qui je n'arrive plus à dire bonjour.
La voiture est clairement un espace intime pour moi. Et faire entrer un homme dans cet espace et le partager seule avec lui une violation de quelque chose d'intime.
MAIS POURQUOI NOM DE ZEUS ?
C'EST JUSTE UNE VOITURE.
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Pour les vacances, j'ai emprunté à la médiathèque un livre audio policier qui se passe en Islande.
C'est chiantissime à souhait, l'auteur se perd dans des milliers de détails dont on a absolument rien à faire, heureusement qu'il y a un peu de suspense de temps en temps. C'est très mal traduit, avec beaucoup de formules toutes faites et d'expressions inusitées depuis 1939 au moins.
On était donc en train d'écouter les élucubrations d'Eileenborg, l'inspectrice de police aux interrogatoires surréalistes vu qu'elle accuse systématiquement TOUT LE MONDE de meurtre en ayant ZERO éléments pour étayer son intuition et qu'il se révèle quand même souvent que son intuition est mauvaise.
Et puis soudain une phrase a attiré mon attention.
Une phrase hyper banale.
Qui m'a pourtant hérissé tous les poils des bras.
Il ne faut pas monter dans la voiture d'un inconnu.
Je crois que là je tiens une des racines du merdier.
Je la tiens ferme pour pouvoir la ramener vivante à la psy la semaine prochaine.