absolution

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Ah bon tu as des insomnies ?

Après cette formidable nuit sans sommeil (allez soyons sympa, j'ai dû dormir une heure trente), je m'extirpe de la tente à 6h. Il fait TRES moche. Quand je rejoins la salle du petit dèj, les religieux sont en rond dans un coin à faire les laudes. J'ai pas encore la force de rejoindre Romain alors je ressors immédiatement pour aller plutôt démonter ma tente.

Quand je reviens, les laudes sont finies, les nuages sont en train de s'éloigner, le soleil se lève, un arc-en-ciel barre tout le ciel. OK GRAND PATRON J'Y VAIS.

Donc je fais la queue pour le petit dèj. Romain est juste derrière moi. Alors je me lance et je lui dis que ça serait bien que dans la journée, on prenne 10 minutes pour parler boulot et qu'il me dise quand ça l'arrange le mieux.

- Ah ben maintenant si tu veux.

 

OK.

JE SUIS ZEN.

JE SUIS PRETE A FAIRE LE TRUC LE PLUS DIFFICILE DE TOUTE MA VIE.

 

- Bon j'ai réfléchi à la coordination, tout ça. Quand penses-tu que tu seras venu à bout de tous ces obstacles mystérieux ? Quand faut-il que je te donne ma réponse définitive ?

- Non mais en fait te nommer coordinatrice, ça va être très facile et rapide. On peut le faire très rapidement. Par contre après j'aimerais qu'on discute car il y a plusieurs choses que je veux mettre en place...

- Ah c'est parfait, c'est exactement ce que j'allais te proposer, qu'on commence mollo, en discutant bien de ce qu'on veut mettre en place.

(silence)

- Bon il y avait autre chose dont je voulais te parler. Comme tu le sais, j'ai des problèmes d'insomnies et...

- Ah bon tu as des problèmes d'insomnies ?

 

LA, les bras me sont tombés. Ca fait 6 mois que tous les mois, lors de notre réunion de groupe de couples, je parle de mes insomnies. TOUT LE MONDE dans ce groupe sait que j'ai des insomnies et que je suis allée voir un médecin. Tout le monde m'a entendu, tout le monde prie pour moi depuis 6 mois, tout le monde sauf Romain donc apparemment. Qui est quand même CELUI du groupe qui devrait plus que les autres faire attention à ça. Parce qu'il est mon curé, donc responsable du salut de mon âme, et parce que je bosse avec lui. Mais non, lui il n'avait RIEN remarqué.

 

- J'ai des problèmes d'insomnies depuis 6 mois, j'en ai parlé régulièrement aux équipes pourtant !

- Ah je n'avais pas compris que c'était sérieux.

 

QU'ON LUI COUPE LA TETE.

 

- Ah si c'est très sérieux, et donc avec mon médecin, on a cherché la cause et en fait très souvent le calendrier de mes insomnies correspond à celui des événements de l'aumônerie. *grosse grimace de Romain qui commence à comprendre où je vais en venir*. Mon médecin m'a carrément conseillé de tout arrêter mais je ne veux pas, je veux trouver une autre solution. Je pense qu'il y a deux causes principales : d'abord l'inertie de la paroisse qui me demande beaucoup d'énergie pour réussir à faire bouger les choses *acquiescement de Romain* et puis... travailler avec toi est une grande source de stress pour moi.

 

LA, Romain a ri.

Oui, il a ri.

Je ne sais toujours pas, presque une semaine après, quoi en penser.

 

Il a quand même enchaîné en me disant (toujours en rigolant entre deux morceaux de phrase) qu'il n'avait rien remarqué et qu'il ne s'en doutait pas du tout. Mais qu'il était vraiment désolé, qu'il fallait que je lui dise quand ça n'allait pas, qu'il allait faire des efforts, c'est promis, mais que surtout je n'hésite pas à lui dire quand ça n'allait pas et à le rappeler à l'ordre parce qu'il ne voulait pas que j'arrête tout.

Je lui ai un peu expliqué ce qui me stressait.

J'ai réussi à lui dire que c'était désagréable de travailler avec quelqu'un qui passe pour un feignant.

J'ai réussi à lui dire que ce mois à le harceler pour avoir une date de réunion bilan avait été horriblement stressant pour moi et que je ne savais plus comment lui adresser la parole à la fin.

J'ai réussi à lui dire que je passais beaucoup de temps à choisir les mots que j'employais face à lui car j'avais tout le temps peur qu'il se braque, ce qui n'était pas très rationnel vu qu'il ne braque pas tellement en fait.

 

Là, il ne riait plus. Il était vraiment désolé. Et il ne s'en doutait vraiment pas du tout.

Apparemment je suis la première personne de cette paroisse à lui dire qu'on a tous peur qu'il se braque quand on lui parle.

J'ai essayé de lui expliquer pourquoi, mais je n'avais pas "répété" et du coup c'était un peu confus. J'ai quand même évoqué la soutane, le fait que cela signifiait qu'il voulait mettre de la distance entre lui et nous, que ça donnait une image sévère et autoritaire de lui et que donc par respect moi j'essayais de le vouvoyer et que j'étais désolée de ne pas y arriver.

Il est tombé de très haut. Soi-disant (ça me semble absolument impossible que ça soit vrai), il n'avait pas conscience que nous pouvions associer la soutane à une volonté de se tenir à distance des laïcs. Je serai donc la première personne de la paroisse à lui en parler. C'est absolument terrifiant.

Il m'a alors expliqué, avec ses mots, pourquoi il la portait. Je ne suis pas plus convaincue mais au moins j'ai ENFIN compris pourquoi lui il la porte. Il m'a vraiment dit des trucs personnels, par rapport à son père, et je n'étais pas mal à l'aise (même si comme d'habitude, je me demandais pourquoi il me racontait ça à moi), ça c'était plutôt cool.

 

On s'est mis d'accord pour faire le point à la rentrée sur les choses qui m'avaient stressées pendant l'année. Il m'a promis une fois encore de faire des efforts et a conclu sur "on va y arriver, tu sais, ça va s'arranger".

 

Oh je ne suis pas inquiète mais ça va demander beaucoup de travail, c'est tout.

 

Je suis très fière d'avoir réussi à avoir cette conversation avec lui. Il y a beaucoup de choses qui n'allaient encore pas mais quand même je crois qu'on a franchi un cap et j'ai surtout l'impression d'avoir ouvert une porte qui a fait entrer un peu d'espoir pour la suite de notre relation.

Cela dit, je ne me suis pas du tout sentie soulagée après lui avoir parlé. J'avais l'estomac complètement noué, encore bien longtemps après, et puis j'ai subi une chute de tension à l'arrivée et le lendemain j'étais encore toute contractée de partout. Pour clôre une année passée à essayer de réconcilier le corps et l'esprit, c'est bon, j'ai bien senti le lien intime entre les deux.

J'ai vraiment le sentiment d'avoir soumis mon être entier, esprit et corps, à une pression très violente pour trouver la force d'avoir cette conversation. Ce n'est quand même pas normal. Je ne vais pas tenir très longtemps si ça me demande autant d'effort pendant l'année. Ma psy était très mécontente que je me sois autant forcée, elle m'a demandé pourquoi j'étais autant tyrannique avec moi-même.

 

Je ne parle même pas du fait qu'il n'avait AUCUNEMENT conscience que j'ai un problème avec lui. Quand j'ai vu la surprise sur son visage, ça m'a renvoyé à cette conversation avec Wii, quand je lui avais expliqué le pourquoi du comment et qu'il était tombé des nues car lui non plus "n'avait rien remarqué" et avait surtout l'impression de ne rien faire. Et DIEU SOIT BENI que cette fois avec Romain je sois restée au niveau du boulot et de choses concrètes n'ayant rien à voir avec le merdier.

Du coup je ne sais plus du tout où j'en suis par rapport au merdier. Il me paraît totalement impossible que l'intégralité du merdier soit dans ma tête et en même temps je suis plus sûre que jamais qu'il n'admettra jamais rien. Je repense à cette phrase miraculeuse qui m'a délivrée et je me dis que soit le Grand Patron est vraiment très puissant soit il reste quelque chose de pourri au royaume du Danemark, quelque chose qui me dépasse complètement et que ce n'est pas la peine que je compte sur lui pour avancer.

 

Quand on s'est quittés, je lui ai donné rendez-vous en septembre. Pas avant. Avant je dors.

Presque une semaine a passé depuis, j'ai dormi plus de 14h par jour. Je sens mes forces revenir.

Son visage est encore imprimé dans ma rétine, j'espère qu'il va vite s'estomper.

J'ai besoin de faire un break, de reprendre des forces, car le chantier qui m'attend en septembre est vraiment important.

 

 



15/07/2014
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